Chaque jour je n'oublie pas Anne-Sophie et ses compagnes d'infortune

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(clic sur le lien pour comprendre ... un peu)

jeudi 8 juin 2017

Grand âge et bas âge mêlés - X -, de Victor Hugo

C'est avec beaucoup de tristesse que les CROQUEURS DE MOTS ont appris la mort d'Henri, de Margaux, dans le Médoc, leur fidèle participant à ses défis et toujours en alexandrins. Quoi de plus normal et suivi par les croqueurs et au-delà que de lui rendre hommage en lui dédiant le défi n°188, si possible dans cette contrainte qu'il pratiquait avec une apparente aisance car sur la Toile n’apparaît bien sûr que le résultat.
Comme Martine, j'appréciais l'homme qu'il était, en tous cas qu'on devinait par ses alexandrins et ses commentaires.
Je suis d'accord avec  Francine quand elle écrit :
"C'est un très grand Monsieur, dans tous les sens du terme, qui est "parti"."

Pour ce premier jeudi, j'ai choisi Victor Hugo, "maître es alexandrins" incontesté sinon le premier mais pas que. (jeudi prochain un autre poème de Victor Hugo en octosyllabes).
J'ai choisi ce poème-ci, pardonnez-moi sa longueur mais le tout fait sens et le couper serait trahir le poète, pour les thèmes croisés, l'engagement humaniste, l'audace stylistique. Qui d'autre que lui pouvait sans déchoir de son piedéstal de plus grand poète écrire "Je dirais aux rois : Rois," ou "water-closets" ?
J'ai choisi ce poème parce qu'il interpelle ou devrait interpeller tous les hommes d'aujourd'hui. Ce que faisait aussi Henri, avec ses modestes moyens, ses convictions et sa capacité à accepter la discussion.
(En bas de page un autre extrait de Victor Hugo, en écho au dernier billet d'Henri)

Grand âge et bas âge mêlés
X

Tout pardonner c'est trop, tout donner, c'est beaucoup !
Eh bien, je donne tout et je pardonne tout
Aux petits ; et votre œil sévère me contemple.
Toute cette clémence est de mauvais exemple.
Faire de l'amnistie(1) en chambre est périlleux.
Absoudre des forfaits commis par des yeux bleus
Et par des doigts vermeils et purs, c'est effroyable.
Si cela devenait contagieux, que diable !
Il faut un peu songer à la société.
La férocité sied à la paternité ;
Le sceptre doit avoir la trique pour compagne ;
L'idéal, c'est un Louvre appuyé sur un bagne ;
Le bien doit être fait par une main de fer.
Quoi ! si vous étiez Dieu, vous n'auriez pas d'enfer ?
Presque pas. Vous croyez que je serais bien aise
De voir mes enfants cuire au fond d'une fournaise ?
Eh bien ! non. Ma foi non ! J'en fais mea-culpa ;
Plutôt que Sabaoth je serais Grand-papa.
Plus de religion alors ? Comme vous dites.
Plus de société ? Retour aux troglodytes,
Aux sauvages(2*), aux gens vêtus de peaux de loups(3*) ?
Non, retour au vrai Dieu, distinct du Dieu jaloux,
Retour à la sublime innocence première,
Retour à la raison, retour à la lumière !
Alors vous êtes fou, grand-père. J'y consens.
Tenez, messieurs les forts et messieurs les puissants,
Défiez-vous de moi, je manque de vengeance.
Qui suis-je ? Le premier venu, plein d'indulgence,
Préférant la jeune aube à l'hiver pluvieux,
Homme ayant fait des lois, mais repentant et vieux,
Qui blâme quelquefois mais qui jamais ne damne,
Autorité foulée aux petits pieds de Jeanne,
Pas sûr de tout savoir, en doutant même un peu,
Toujours tenté d'offrir aux gens sans feu ni lieu
Un coin du toit, un coin du foyer, moins sévère
Aux péchés qu'on honnit qu'aux forfaits qu'on révère,
Capable d'avouer les êtres sans aveu.
Ah ! ne m'élevez pas au grade de bon Dieu !
Voyez-vous, je ferais toutes sortes de choses
Bizarres ; je rirais ; j'aurais pitié des roses,
Des femmes, des vaincus, des faibles, des tremblants ;
Mes rayons seraient doux comme des cheveux blancs ;
J'aurais un arrosoir assez vaste pour faire
Naître des millions de fleurs dans toute sphère,
Partout, et pour éteindre au loin le triste enfer(2) ;
Lorsque je donnerais un ordre, il serait clair ;
Je cacherais le cerf aux chiens flairant sa piste ;
Qu'un tyran pût jamais se nommer mon copiste,
Je ne le voudrais pas ; je dirais : Joie à tous !
Mes miracles seraient ceci : - Les hommes doux. -
Jamais de guerre. - Aucun fléau. - Pas de déluge(3). -
- Un croyant dans le prêtre, un juste dans le juge. -
Je serais bien coiffé de brouillard, étant Dieu,
C'est convenable ; mais je me fâcherais peu,
Et je ne mettrais point de travers mon nuage
Pour un petit enfant qui ne serait pas sage ;
Quand j'offrirais le ciel à vous, fils de Japhet,
On verrait que je sais comment le ciel est fait ;
Je n'annoncerais point que les nocturnes toiles
Laisseraient pêle-mêle un jour choir les étoiles,
Parce que j'aurais peur, si je vous disais ça,
De voir Newton pousser du coude Spinoza ;
Je ferais à Veuillot(3) le tour épouvantable
D'inviter Jésus-Christ et Voltaire à ma table,
Et de faire verser mon meilleur vin, hélas,
Par l'ami de Lazare à l'ami de Calas ;
J'aurais dans mon éden, jardin à large porte,
Un doux water-closet(5*) mystérieux, de sorte
Qu'on puisse au paradis mettre le Syllabus(4) ;
Je dirais aux rois : Rois, vous êtes des abus,
Disparaissez. J'irais, clignant de la paupière,
Rendre aux pauvres leurs sous sans le dire à Saint-Pierre,
Et, sournois, je ferais des trous dans son panier
Sous l'énorme tas d'or qu'il nomme son denier ;
Je dirais à l'abbé Dupaloup : moins de zèle !
Vous voulez à la vierge ajouter la Pucelle(5),
C'est cumuler, monsieur l'évêque ; apaisez-vous.
Un Jéhovah trouvant que le peuple à genoux
Ne vaut pas l'homme droit et debout, tête haute,
Ce serait moi. J'aurais un pardon pour la faute,
Mais je dirais : Tâchez de rester innocents.
Et je demanderais aux prêtres, non l'encens,
Mais la vertu. J'aurais de la raison. En somme,
Si j'étais le bon Dieu, je serais un bon homme(6).
Victor Hugo, L'art d'être Grand-père,
poèmes Gallimard, édition 2008, pages 108 à 110

Victor Hugo, écrivain et poète français, 1802 - 1885

notes Gallimard :
(1) ce mot a une forte connotation politique en 1873-1876 : Hugo mène une campagne active pour l'amnistie des communards et dépose au Sénat une proposition de loi pour l'amnistie générale qui est rejetée le 22 mai 1876.
(2) tout en s'amusant, Hugo expose ici sa doctrine sur la fin de Satan et le salut des planètes damnées qui seront parsemées de fleurs.
(3) Hugo fait concrètement référence aux graves inondations de 1875 qui ont ravagé la région de Toulouse et dont le journaliste célèbre Louis Veuillot (oublié aujourd'hui sans surprise) qui déclarait dans un article du journal l'Univers du 28 juin 1875 que c'était un châtiment de Dieu
(4) Le Syllabus publié sur ordre de Pie IX, le 8 décembre 1964, à l'issue de l'encyclique Quanta cura,renfermait les "principales erreurs de notre temps" : rationalisme, libéralisme, socialisme, etc.
(5) le 8 mai 1869, l'évêque d'Orléans s'efforce de faire établir la sainteté de Jeanne d'Arc. Elle sera finalement béatifiée en 1914 et canonisée en 1920.(4*)
(6) Ce vers final figue dans l'ébauche du Reliquat :
Certes, j'accorde à l'âme humaine ce besoin,
Un bon Dieu, mais on doit de ses fils avoir soin,
On doit justifier le nom dont on se nomme,
Si j'étais un bon Dieu, je serais un bon homme.

Mes propres grains de sel
(1*) Victor Hugo évoque ses petits enfants, Jeanne et Georges, nés en 1869 et 1868 et qui avaient sans doute tout simplement les yeux bleus.
(2*) revoici les sauvageons, devenus des sauvages adultes
(3*) pourquoi des peaux de loups plutôt que des peaux d'autres animaux ? J'y vois peut-être un clin d’œil au fait que les loups vivent en sociétés organisées selon des lois.
(4*) Je suis frappée par la coïncidence de cette date de la béatification avec l'atmosphère de va-t-en guerre qui prévaut cette année-là avant le début de la première guerre mondiale.
(5*) cette note est pour les plus jeunes qui ignorent peut-être que WC vient de water closets. Je suppose qu'il est inutile de développer davantage pourquoi Hugo met le Syllabus dans ce lieu..

Discours de Victor Hugo au Sénat pour le
 centenaire de la mort de Voltaire en 1878


portrait d'Henri accompagnant son avant dernier billet
Des mots qui, à la relecture, résonnent comme des mots d'adieu à ses amies et amis de la blogosphère. Mais il n'est pas anodin que son dernier billet ait été pour célébrer l'anniversaire de la mort d'Abd el Kader le 26 mai 1883.
L'émir Abd el Kader, 1808 - 1883, symbole de la résistance contre le colonialisme et la domination française, mais aussi écrivain et poète, philosophe et théologien, considéré comme étant à l'origine de l'Etat algérien moderne, homme de contraste, est cité ainsi par Victor Hugo :

Lui, l'homme fauve du désert,
Lui, le sultan né sous les palmes,
Le compagnon des lions roux,
Le hadji farouche aux yeux calmes,
L'émir pensif, féroce et doux ;

Lui, sombre et fatal personnage
Qui, spectre pâle au blanc burnous,
Bondissait, ivre de carnage,
Puis tombait dans l'ombre à genoux ;

Qui, de sa tente ouvrant les toiles,
Et priant au bord du chemin,
Tranquille, montrait aux étoiles
Ses mains teintes de sang humain ;

Qui donnait à boire aux épées,
Et qui, rêveur mystérieux,
Assis sur des têtes coupées,
Contemplait la beauté des cieux ;

Lui, dont la voix d'éclairé manque cruellement aux Français et aux Algériens d'aujourd'hui.
(je pense avec effroi à ce qui s'est passé mardi après-midi 6 juin sur le parvis de Notre Dame (info francetvinfo)

8 commentaires:

  1. Un jeudi qui ne laisse pas de marbre Jeanne... avec Hugo et pour l'ami des alexandrins aussi, Henri Landa... Mardi l'homme au marteau, qu'on a envie de traiter du même nom !! Bises

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  2. Excellent choix pour l'hommage à l'ami Henri. Sûr qu'il l'aurait aimé. Je ne connaissais pas ce poème. Beau jeudi

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  3. Deux très jolis poèmes de Victor Hugo pour notre Henri.
    Bises et bon jeudi Jeanne

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  4. Victor Hugo sied bien à notre ami Henri, de blog en blog les hommages nous y renvoient fort à propos.

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  5. Un superbe hommage à notre ami Henri, Jeanne !!! Il en est fier, j'en suis sûre et certaine ! Bonne poursuite de ce vendredi et agréable week-end ! Bises♥

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  6. Un tres bel hommage pour Henri , oui Victor Hugo comme Henri savait nous interpeller.
    Bises

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  7. C'est un très bon choix, Jeanne.
    Je suis aussi horrifiée par ce qui se passe...

    Merci pour cet hommage à Henri. Je le connaissais peu, mais j'avais beaucoup apprécié ce que j'ai lu de lui.

    Passe une douce soirée. Bisous.

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  8. I every time spent my half an hour to read this website's articles all the time along with a cup of coffee.

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