Chaque jour je n'oublie pas Anne-Sophie et ses compagnes d'infortune

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(clic sur le lien pour comprendre ... un peu)

jeudi 6 septembre 2018

Ecrit après la visite d'un bagne, de Victor Hugo

Dans le décompte des défis des CROQUEURS DE MOTS je ne sais plus trop où nous en sommes. Dômi prend la barre pour la rentrée et nous propose en défi du lundi de bâteler pour recruter de nouveaux moussaillons pour naviguer joyeusement sur la mer des mots et pour les jeudis poésie de fêter la rentrée et les vacances.

J'aurais bien repris une nième fois Automne de René Guy Cadou ou encore Le cancre, de Jacques Prévert et je sais aussi que le poème de Victor Hugo n'est pas des plus joyeux.

Et puis, au-delà de sa pensée généreuse, il ne suffit pas d'éduquer, surtout quand l'éducation est associée à un conditionnement de la pensée qui la formate et la prive de libre arbitre.

Ecrit après la visite d'un bagne

Chaque enfant qu'on enseigne est un homme qu'on gagne. 
Quatrevingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne 
Ne sont jamais allés à l'école une fois, 
Et ne savent pas lire, et signent d'une croix. 
C'est dans cette ombre-là qu'ils ont trouvé le crime. 
L'ignorance est la nuit qui commence l'abîme. 
Où rampe la raison, l'honnêteté périt.

Dieu, le premier auteur de tout ce qu'on écrit, 
A mis, sur cette terre où les hommes sont ivres, 
Les ailes des esprits dans les pages des livres. 
Tout homme ouvrant un livre y trouve une aile, et peut 
Planer là-haut où l'âme en liberté se meut. 
L'école est sanctuaire autant que la chapelle. 
L'alphabet que l'enfant avec son doigt épelle 
Contient sous chaque lettre une vertu ; le coeur 
S'éclaire doucement à cette humble lueur. 
Donc au petit enfant donnez le petit livre. 
Marchez, la lampe en main, pour qu'il puisse vous suivre.

La nuit produit l'erreur et l'erreur l'attentat. 
Faute d'enseignement, on jette dans l'état 
Des hommes animaux, têtes inachevées, 
Tristes instincts qui vont les prunelles crevées, 
Aveugles effrayants, au regard sépulcral, 
Qui marchent à tâtons dans le monde moral. 
Allumons les esprits, c'est notre loi première, 
Et du suif le plus vil faisons une lumière. 
L'intelligence veut être ouverte ici-bas ; 
Le germe a droit d'éclore ; et qui ne pense pas 
Ne vit pas. Ces voleurs avaient le droit de vivre. 
Songeons-y bien, l'école en or change le cuivre, 
Tandis que l'ignorance en plomb transforme l'or.

Je dis que ces voleurs possédaient un trésor, 
Leur pensée immortelle, auguste et nécessaire ; 
Je dis qu'ils ont le droit, du fond de leur misère, 
De se tourner vers vous, à qui le jour sourit, 
Et de vous demander compte de leur esprit ; 
Je dis qu'ils étaient l'homme et qu'on en fit la brute ; 
Je dis que je nous blâme et que je plains leur chute ; 
Je dis que ce sont eux qui sont les dépouillés ; 
Je dis que les forfaits dont ils se sont souillés 
Ont pour point de départ ce qui n'est pas leur faute ; 
Pouvaient-ils s'éclairer du flambeau qu'on leur ôte ? 
Ils sont les malheureux et non les ennemis. 
Le premier crime fut sur eux-mêmes commis ; 
On a de la pensée éteint en eux la flamme : 
Et la société leur a volé leur âme.


Victor Hugo, Recueil : Les quatre vents de l'esprit (1881).

Victor HUGO, 1802 - 1885, poète écrivain dramaturge et dessinateur français
Banksy, l'un des plus grands artistes d'art urbain

Graf de Banksy, sur les murs de son ancienne école, Infos --->





7 commentaires:

  1. Je ne connaissais pas ce poème si vrai. Merci de ce partage. Belle journée.

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  2. Un très beau texte de Victor Hugo, Jeanne. Merci.
    Bises et bon jeudi

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  3. Oui, quel poème extraordinaire qu'il est bon de relire.
    Puis-je ajouter les paroles de cette chanson d'Yves Duteil, "Apprendre" ?
    Yves Duteil, Apprendre
    Paroles et musique, Yves Duteil
    Extrait de l'album Sans Attendre (Editions de l'Ecritoire, 2001)
    Sous le soleil la terre se fend
    Pour cet homme et pour son enfant,
    Après le puits qu'il faut creuser
    Il reste un sillon à tracer...
    Sans attendre...
    Apprendre ...
    À lire, à écrire, à compter
    Ouvrir les portes encore fermées
    Sur ce savoir accumulé
    Qu'on lui en donne un jour la clé
    Il a le monde à sa portée...
    Lire...
    Apprendre à lire entre les lignes
    Découvrir la magie des signes
    Et les trésors inépuisables
    Qu'on emporte dans son cartable
    Comprendre...
    C'est comme un mur que l'on traverse
    C'est la brume qui se disperse
    Une promesse encore plus belle
    La connaissance universelle
    Compter...
    Apprendre à compter sur soi-même
    À compter pour ceux qui vous aiment
    Pour faire aussi partie du nombre
    Pouvoir enfin sortir de l'ombre
    Comprendre...
    Combien la vie peut être belle
    Et se mettre à compter pour elle
    Faire la somme de sa différence
    Et se soustraire à l'ignorance
    Écrire...
    Apprendre à écrire son histoire
    À la plume et au crayon noir
    En appliquant son écriture
    Raconter sa propre aventure...
    Surprendre...
    Cueillir ses mots comme des fleurs
    Semer des graines au long des cœurs
    Confier son âme et sa mémoire
    A celui qui viendra plus tard
    Pour cet enfant à son pupitre
    Tirer la langue sur le titre
    Écrire son nom sur son cahier
    C'est plonger vers sa liberté.

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  4. Quel magnifique plaidoyer pour l'école ,
    "Le premier crime fut sur eux-mêmes commis ;
    On a de la pensée éteint en eux la flamme :
    Et la société leur a volé leur âme." Si seulement tous les gouvernements pouvaient avoir ces lignes en tête ...
    Bonne journée
    Bisous

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  5. Je croyais avoir presque tout lu de Hugo... et je découvre ce poème.
    Merci, Jeanne.
    Un poème dont les réflexions pourraient toutes se conjuguer encore dans notre présent.
    Passe une douce journée.

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  6. Un magnifique texte, Jeanne et une merveileuse illustration ! Bon vendredi ! Bises♥

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  7. Merci pour ce superbe poème, toute l'excellence et la force d'écriture du "Père Hugo" ...
    Entre choses, il me ramène à la vie de mon arrière grand- père, notaire dévoyé, qui est mort au bagne de Cayenne, en 1905 ...
    Il y avait aussi un bagne, "chez moi" (à Brest), jusque 1978. Mon père me racontait les bêtises qu'il aimait y faire, particulièrement dans la cellule d'un certain Vidocq.

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