Dans ce poème de Louise Ackermann, mis en ligne pendant l'été 2012 pour illustrer la lettre D, le doute n'est jamais mentionné explicitement mais tout ici le suggère(1) à chaque ligne, à chaque respiration.
Mon livre
Je ne vous offre plus pour toutes mélodies
Que des cris de révolte et des rimes hardies.
Oui ! Mais en m'écoutant si vous alliez pâlir ?
Si, surpris des éclats de ma verve imprudente,
Vous maudissez la voix énergique et stridente
Qui vous aura fait tressaillir ?
Pourtant, quand je m'élève à des notes pareilles,
Je ne prétends blesser les cœurs ni les oreilles.
Même les plus craintifs n'ont point à s'alarmer ;
L'accent désespéré sans doute ici domine,
Mais je n'ai pas tiré ces sons de ma poitrine
Pour le plaisir de blasphémer.
Comment ? la Liberté déchaîne ses colères ;
Partout, contre l'effort des erreurs séculaires ;
La Vérité combat pour s'ouvrir un chemin ;
Et je ne prendrais pas parti de ce grand drame ?
Quoi ! ce cœur qui bat là, pour être un cœur de femme,
En est-il moins un cœur humain ?
Est-ce ma faute à moi si dans ces jours de fièvre
D'ardentes questions se pressent sur ma lèvre ?
Si votre Dieu surtout m'inspire des soupçons ?
Si la Nature aussi prend des teintes funèbres,
Et si j'ai de mon temps, le long de mes vertèbres,
Senti courir tous les frissons ?
Jouet depuis longtemps des vents et de la houle,
Mon bâtiment fait eau de toutes parts ; il coule.
La foudre seule encore à ses signaux répond.
Le voyant en péril et loin de toute escale,
Au lieu de m'enfermer tremblante à fond de cale,
J'ai voulu monter sur le pont.
À l'écart, mais debout, là, dans leur lit immense
J'ai contemplé le jeu des vagues en démence.
Puis, prévoyant bientôt le naufrage et la mort,
Au risque d'encourir l'anathème ou le blâme,
À deux mains j'ai saisi ce livre de mon âme,
Et l'ai lancé par-dessus bord.
C'est mon trésor unique, amassé page à page.
À le laisser au fond d'une mer sans rivage
Disparaître avec moi je n'ai pu consentir.
En dépit du courant qui l'emporte ou l'entrave,
Qu'il se soutienne donc et surnage en épave
Sur ces flots qui vont m'engloutir !
Louise Ackermann, Paris, 7 janvier 1874.
[ Mon Livre ], Poèmes de Louise Ackermann
Louise Ackermann, 1813 - 1890, poétesse française
Je précisais alors
Quand j'essaie de m'imprégner du sens multiple et dense qui émane de ces vers, j'ai du mal à imaginer que c'est cette poétesse qui a écrit :
« Pour écrire en prose, il faut absolument avoir quelque chose à dire ; pour écrire en vers, ce n'est pas indispensable »
C'est puissant comme écrit... j'aime bien la phrase que tu cites Jeanne, moi aussi en prose je ne peux m'étendre, en vers... par contre, tout m'inspire, merci, bises
RépondreSupprimerTres beau poème qui m'a émue. Je ne suis pas d'accord avec la citation et elle prouve avec ce poème le contraire. Parfois il m'arrive néanmoins de faire des poèmes en vers juste pour le plaisir de rimer.
RépondreSupprimerTu as choisi un très beau poème Jeanne. Merci.
RépondreSupprimerBises et bon jeudi
http://zazarambette.fr
Merci pour ce superbe poème que je découvre...
RépondreSupprimerJ'ai toujours l'impression de ne rien avoir lu. J'apprends chaque jour.
Bises et douce journée.
Je ne connaissais pas, c'est splendide, merci !
RépondreSupprimerles poétes ont des éclats de voix qui portent loin
RépondreSupprimerJe découvre aussi ce poème et comme toi je suis étonnée par la réflexion de son auteur à propos de la prose et de la poésie . Son message est pourtant clair en effet sur le doute qui l'assaille et merveilleusement décliné en vers percutants .
RépondreSupprimerBonne journée
Bisous