A vous de les lancer et avec le chiffre obtenu (entre 2 et 12) vous arrivez (tombez !) sur la case du Monopoly à partir de laquelle vous raconterez ce que vous voulezJe quémande votre indulgence, Croqueurs de mots et Josette, j'ai bien peur d'avoir produit un texte un peu long.
Les vacances en Normandie dans les années 1970, près de la petite maison familiale dont avait hérité ma grande tante, dans la maison de mes parents mitoyenne de celle de ma tante, pouvaient être, ce n'est pas médire, synonymes de longues après-midi de pluie et de bruine. Alors nous sortions de l'armoire les jeux de société : nain jaune, jeu de l'oie, petits chevaux, Monopoly.
Ce dernier avait ses partisans acharnés, se délectant à faire et défaire des fortunes en spéculations hasardeuses. Les autres, comme moi, s'en amusaient la première heure avant de s'en lasser, une partie pouvant se prolonger jusqu'au soir.
Ma tante, la sœur aînée de ma mère, y participait encore un peu. C'était la seule occupation qui animait son visage triste et résigné de grande malade. Maman, qui n'a jamais compris qu'on puisse prendre plaisir à s'imaginer faire fortune, acceptait volontiers de jouer avec nous un tricot ou un raccommodage à la main avant que l'heure du goûter ne signe sa défection pour nous préparer des tartines savoureuses puis s'affairer pour le dîner.
Le jeu que nous utilisions vaudrait à lui seul un article. Il avait été entièrement confectionné par l'un de mes frères, le plateau, les billets, les maisons et les hôtels en bois, les cartes messages. tout y était fidèlement reproduit et toujours précieusement conservé.
Deux et un : trois.
Si ma tante démarrait le jeu avec la rue Lecourbe, quartier qui avait abrité son adolescence d'aînée responsable de ses quatre frère et sœurs, nous avions droit à "sa lèvre en revers de pot de chambre" de mauvaise perdante et nous aimions lui découvrir encore de rares émotions.
-Zut ! c'est la rue la moins chère de Paris !
Si les dés avaient été lancés par maman, tout le monde se réjouissait des étoiles qui s'allumaient dans ses yeux et annonçaient ses confidences. Nul ne se serait avisé de lui couper la parole d'un "nous les connaissons par coeur tes souvenirs, tu nous les a raconté cent fois !" Même tante Marcelle n'osait pas l'interrompre sur le récit de ces années de répit relatif où elle avait souvent suppléé notre grand-mère malade avant d'être placée comme bonne puis de se marier et de suivre son mari à la campagne.
Il y avait toujours un plus jeune de mes neveux ou nièces ravi de se voir répéter ce récit épique et compliqué.
Alors nous repartions avec ma mère dans les errances de sa famille après la mort prématurée de leur père quand elle avait six mois. Les logements minuscules et souvent insalubres obtenus par sa mère en ne déclarant que son garçon et une de ses filles, les expulsions quand des voisins les dénonçaient au bailleur comme famille nombreuse. Les replis rue des Saint-Pères, dans l'hôtel particulier du patron de la Tante Berthe, à l'insu de ce vieux garçon quand il était en voyage, ce qu'il était heureusement fréquent.
Et ce jour où il avait découvert le pot aux roses et où, au lieu de les chasser et de congédier sa précieuse employée de maison, il avait intercédé en leur faveur auprès de la Fondation Rothschild.
- Tu comprends, disait ma mère à sa sœur aînée, ces logements qui ont sauvé tant de familles n'auraient pas pu être construits si le foncier n'avait pas été bon marché !
Un vrai trois pièces de près de cinquante mètres carrés avec deux vraies chambres. Tant pis s'il fallait déplier des lits cage pour la nuit !
Le gaz de ville, l'électricité avec un compteur à jetons, un évier avec l'eau courante où l'on pouvait faire la vaisselle et sa toilette, une salamandre à feu continu dans la pièce principale, et même un petit cabinet avec cuvette de WC en faïence blanche, chasse d'eau et conduit d'évacuation.
Au sous-sol semi-enterré de l'immeuble, des locaux à partager, buanderie, séchoir à linge, pièce de repassage, local à vélos et même un atelier de réparation.
Aux alentours les patronages catholique mais aussi protestant et israélite lesquels accueillaient les enfants de pauvres sans distinction de religion et sans chercher à les convertir. Puis l'école des bonnes sœurs où j'ai appris en débarrassant après sa mort que ma mère y avait fait des vœux provisoires de novice pour pouvoir continuer gratuitement l'école jusqu'au certificat d'études.
Quelquefois, la pluie dans les yeux, elle nous racontait ses treize ans, la mort de sa maman, le beau jeune homme qui l'avait sauvé de la noyade à Palavas les Flots, sa séparation d'avec sa fratrie, ses années chez sa grande tante que j'appelais mémé et sa cousine qui l'avaient choyée jusqu'à ce qu'elle se marie et quitte Paris pour la province où mon père travaillait. Ses années de cousette chez de grands couturiers, le théâtre au Trocadéro, les séances de cinéma muet, son carnet de bal et ses succès ... Alors, elle redevenait la parisienne qu'au fond de son âme elle n'avait jamais cessé d'être.
HBM1de la fondation Rotschild, Groupe Bargue, 1912 |
et pour aller plus loin :
Paris Promeneurs, HBM rue Bargue
Paris Habitat - Cent de ville cent ans de vie
Défi n°137 : retrouvailles (1) et surtout
Défi n°137 : retrouvailles (2)
Ah Jeanne un temps que les moins de 20 ans... et chacun sa famille avec ses histoires, ses jeux, ses ouvrages de dames etc... son père, sa mère... merci, bises de jill
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup aimé le récit de tes souvenirs d'enfance autour du jeu même si tu n'as pas jeté les dés. Souvenirs d'enfance pour moi aussi. Bonne semaine
RépondreSupprimerUne vie
RépondreSupprimerUn texte tendre et émouvant.
j'ai beaucoup aimé Jeanne
Bises
;)
C'est presque une histoire de famille le Monopoly chez toi! J'aime beaucoup: on a l'impression d'être avec toi autour du jeu et d'entendre ta mère évoquer cette vie laborieuse et difficile , pendant que ta tante fait la moue!
RépondreSupprimerBeaucoup de souvenirs !
Bises
et encore, j'ai oublié de décrire le jeu de monopoly sur lequel on jouait, confectionné par un de mes frères et non pas acheté, peut-être trop cher ou pas encore accessible, va savoir.
SupprimerMerci pour ce magnifique et émouvant partage de souvenirs, Jeanne.
RépondreSupprimerBisous et douce journée.
c'est une si belle "histoire" Jeanne ! j'ai bien connu un immeuble de la Fondation Jules Lebaudy rue de l'Amiral Roussin à Paris 9 escaliers, le concierge à l'entrée et la buanderie commune et les caves pour le charbon...tout un "petit" peuple avec la vie des gens simples !
RépondreSupprimermerci pour cette belle participation ...
Merci pour le partage de ce texte émouvant, ce rappel d'une époque où la vie n'était pas rose pour tout le monde. En le lisant je pense à Christian Signol et à cet écrivain creusois Jean Guy Soumy (la tempête à lire absolument) qui parle si bien de ces petites gens qui font l'âme et la richesse d'un pays.
RépondreSupprimerJ'ai lu beaucoup de livres de Christian Signol et je suis d'accord avec Adamante qui dit que ton récit nous y fait un peu penser. J'ai toujours aimé ses lectures relatant le début du siècle dernier.
SupprimerMerci pour cette tranche de vie.
Bisous.
Domi.
Un récit tres émouvant Jeanne que j'ai pris beaucoup de plaisir à lire .
RépondreSupprimerToute une époque que tu décris avec beaucoup de talent .
Bonne soirée
Bisous
Un récit tres émouvant Jeanne que j'ai pris beaucoup de plaisir à lire .
RépondreSupprimerToute une époque que tu décris avec beaucoup de talent .
Bonne soirée
Bisous