Que pouvait-elle en savoir, la gamine haute comme trois pommes, tantôt chouchoutée comme petite dernière ou comme bonne élève, tantôt jalouse de sa solitude organisée dans ses jardins secrets ? Que pouvait-elle comprendre des idylles qui finissent dans la tragédie ? Les cachettes réelles, qui affolaient sa maman quand elle ne répondait pas, désireuse de prolonger encore de quelques minutes ses rêveries. Ses jardins imaginaires, qu'elle brodait tant et tant dans sa tête, jardins et logement, confortable, sans luxe. Jardins au goût de paradis. Lieu protégé de la fureur du monde, accueillant pour ceux, toujours imaginaires, qui le fuyaient, auquel on accédait en se faufilant derrière un rideau de pluie tombant le long de la falaise, au bout d'un tunnel naturel traversant le rocher. De l'autre côté, insoupçonnable, son eden, niché comme un nid d'oiseau dans un creux de l'à pic, et l'océan. Inaccessible. Qu'est-ce qu'elle pouvait en connaitre à son âge, de l'amour fou et des ravages de la jalousie ?
Elle rêvait, elle savait. Peut-être dans une autre vie ? Elle n'aurait pas su dire pourquoi cette chanson l'émouvait tant. Elle avait appris tôt à la fredonner avec ses grands frères et sa grande soeur. Les plus âgés allaient ou avaient quittés le nid familial pour fonder leur propre famille. Les grands ne s'en inquiétaient pas, pensant qu'elle n'était pas en âge d'en comprendre la métaphore du dernier couplet. Pensant qu'elle ne lui évoquait que les coquelicots.
Ils avaient tort. Déjà elle ne pardonnait pas à la vie d'avoir emporté de l'autre côté son premier camarade de jeu. Elle le savait malade, on ne le lui avait jamais caché. En ce temps-là on ne savait pas opérer de la maladie bleue. Elle l'avait perdu une première fois, tôt, séparée par un déménagement. Le savoir encore en vie les quelques années suivantes, quand elle accompagnait ses parents au cimetière, sur la tombe de ce frère qu'elle n'avait pas connu, était à chaque fois un petit miracle ... qui n'avait pas duré.
Aujourd'hui, la vieille dame cabossée, toujours aussi jalouse de ses jardins secrets, meurtrie dans la confiance accordée, n'a jamais réussi à quitté sa réserve.
Aujourd'hui, la voix de Mouloudji, les paroles ont toujours le même goût de bonheur impossible.
Comme un p'tit coqu'licot son âme, comme un p'tit coqu'licot.
Jeanne Fadosi, samedi 4 juin 2016, pour miletune
Référence : Comme un petit coquelicot, chanté par Mouloudji CLIC
et aussi Clic
Petit ne signifie pas bête pour autant, la preuve... Merci Jeanne et douce journée, bises
RépondreSupprimerUn texte très beau émouvant autour d'une belle chanson qui a bercé mon enfance aussi. Merci pour ce petit moment de bonheur de lecture. Beau lundi.
RépondreSupprimerQuel joli texte Jeanne ... Merci !
RépondreSupprimerBises et bon début de semaine. ZAZA
Elle savait déjà, j'en suis certaine, et elle sait encore...
RépondreSupprimerLa chanson me fait toujours pleurer.
Ton récit aussi.