Très chers patients, j'ai l'honneur de vous inviter à l'hôpital des Croqueurs où nous serons tous malades le Lundi 20 Avril :
Racontez-nous donc une histoire de malade ou de médecin ou de pharmacien ou d'hôpital ou de médicament... ou un mélange.
Telle est la consigne de Enriqueta à la barre du défi n°143 des CROQUEURS DE MOTS
J'avoue avoir cogité sur plusieurs histoires à raconter. Mais le cœur n'y est pas vraiment. Alors, pardon pour ceux qui l'ont déjà revisité l'autre jour
Réédition du billet écrit pour le défi n°36 des CROQUEURS DE MOTS : "Ça n'a pas de sens" pour le lundi 23 août 2010
théâtre de l'absurde
Une salle toute blanche, éclairée par une grande baie vitrée ouverte sur un parc où l’on devine de grands arbres.
Le gazouillis des oiseaux entre à flots, … le silence total, …, les oiseaux assourdissants, saturant quelques secondes l’espace sonore, le silence …, à nouveau un gazouillis murmuré …
Sur une chaise blanche et froide, une silhouette bien droite, ou tassée, presque immobile.
Sur le lit immaculé, une autre silhouette, momifiée, pantin entre deux mondes, accrochée à ses tuyaux comme à des ficelles qui la maintiendraient juste en équilibre, au bord du grand vide …
Sur la chaise, la mère, le père, les frères, les sœurs, la mère …
Relais comme un ballet silencieux ou gorgé de sons …
En hauteur, sur une toile géante coupée en deux, tantôt les visages en très gros plan de l’alitée et du visiteur assis, tantôt des plans plus élargis mais restant assez serrés des deux « seconds rôles »
- Demain sera comme hier, hier était comme aujourd’hui … (voix off crevant le silence)
Entre deux bandages, un battement de cils …
Et mille échafaudages de signes …
Sur la chaise, la femme s’est redressée :
- tu veux me faire comprendre quelque chose, ma chérie ?
Le front effleuré d’une main à peine tremblante,
L’ébauche d’un sourire quand renaît l’espoir
Le frémissement d’une paupière …
- oui, c’est bien cela, tu me dis oui ?
Les paupières s’agitent, désarticulées. – Non, tu ne veux pas ?
Immobilité à nouveau.
Non-sens, premier rôle de la pièce, seul volontaire !
Une blouse rose entre dans la chambre.
- Bonjour ! Je suis la dame rose, je visite les enfants …
Mais ce n’est plus une enfant, je me sauve, au revoir !
La petite dame cassée sur sa chaise a redressé la tête :
- c’est une enfant, c’est mon enfant …
La dame rose quitte la scène. Une équipe de personnes en blanc entrent à leur tour.
Les cils s’immobilisent, les bandages font le mort.
- RAS, état stationnaire, on maintient le traitement, 3 aérosols en plus aujourd’hui. Surveiller les taux de …
Suivez-moi, inutile de s’attarder ici, allons plutôt détailler la rate de la chambre suivante, …
Suivez-moi, inutile de s’attarder ici, allons plutôt détailler la rate de la chambre suivante, …
L’aréopage quitte à son tour la scène, sans un regard vers la silhouette assise.
A nouveau la momie frémit, imperceptiblement.
La mère semble moins tassée.
Un fragment de vie réinvestit l’espace.
Dans l’obscurité la salle retient son souffle. Un grand ado costaud essuie furtivement une larme, un monsieur se mouche bruyamment prétextant un rhume des foins …
L’absurde est palpable ….
Jeanne Fadosi, le 20 août 2010
le lundi où ce texte a été mis en ligne, Anne-Sophie s'éteignait définitivement dans la matinée, après de longues semaines de coma.
Comme je ne pouvais pas me rendre physiquement à son chevet, à cause des obligations qui me retenaient bien malgré moi à la maison, j'imaginais ce que devait être cette attente qui durait depuis maintenant ... Je me suis refusée à faire un décompte dès le début. Elle s'installait dans la durée. J'avais fini par poser quelques mots ICI
Si cette scène de théâtre est le produit de mon imaginaire, c'est que je étais profondément par la pensée auprès de cette famille qui fait partie de la mienne et dont le quotidien hélas réel m'a soufflé ce décor, ces mots et ces impressions.
Et je voudrais aussi m'excuser auprès du personnel et des bénévoles qui, bien plus souvent, font preuve d'humanité. J'ai seulement voulu souligner ici les quelques comportements qui ne relèvent pas forcément, eux non plus, de la pure imagination.
Et je voudrais aussi m'excuser auprès du personnel et des bénévoles qui, bien plus souvent, font preuve d'humanité. J'ai seulement voulu souligner ici les quelques comportements qui ne relèvent pas forcément, eux non plus, de la pure imagination.
J'étais bien consciente également que je ne respectais pas vraiment la consigne du défi n°36. Mais l'absurde de cette réalité m'envahissait tant que j'avais besoin d'en faire quelque chose.
Plus tard, Nadia, la mère de cette jeune femme dont on a volé si tôt la vie, m'a confiée que j'avais dans ce texte décrit au plus près la réalité de ce qu'ils avaient vécus à l'hôpital.
et chaque jour
je n'oublie pas Anne-Sophie
et ses compagnes d'infortune :
145 en 2010 ; 122 en 2011 ; 148 en 2012 ; 121 en 2013
(clic sur son regard pour comprendre ... un peu)
On imagine les angoisses quand son môme se trouve dans cet état !!!! Merci Jeanne, bises
RépondreSupprimerL’hôpital a parfois de bien sombres aspects, mais comme tu le souligne toi-même souvent adoucis par un personnel remarquable...
RépondreSupprimerTon récit m'émeut au plus haut point...
RépondreSupprimerCette souffrance ne peut pas s'effacer.
Courage à toi, à vous...
Pour tout.
très émouvant en effet on comprend ta souffrance bises
RépondreSupprimerla souffrance touche chacun de nous. Soyons doux les uns pour les autres.
RépondreSupprimerBises
Jeanne ton texte commence comme le "hareng saur" pour petit à petit nous amener vers la tragédie...avec émotion je n'ai pas oublié le regard d'Anne Sophie
RépondreSupprimerBon, ayant cliqué sur le regard, j'ai soudain compris... et je pleure !
RépondreSupprimerJe t'embrasse de tout cœur Fadosi
Ton texte est magnifique !
Je connais assez bien le monde des hôpitaux pour y a voir exercé durant 7 ans, dans les années 70; je me souviens aussi de mes années d'étude . Très jeune à l'époque j'étais abasourdie par cette approche/distance/limite mépris qu'avait le corps médical vis à vis des patients et de leurs familles ... on parlait alors, en essayant d'y croire 'd'humanisation des hôpitaux' mais tellement peu de choses se sont humanisées en fait! certes il existe des personnels remarquables de compassion, de patience et de gentillesse, certes quelques interne ne se prennent pas pour des sur hommes prétentieux ... c'est encore malheureusement l’exception!
RépondreSupprimerMais ton texte me touche aussi tellement tu restitues bien cette espérance au delà de l’espérance, ce souffle ultime auquel on s'accroche encore; j'ai vécu cela de manière différente mais je ne peux l'oublier.
Bel a-midi; Simone
Hélas, je crois que cette scène est très près de la réalité quotidienne des hôpitaux.
RépondreSupprimerJe pense de temps en temps à ta petite-nièce lorsque j'entends das drames de femmes maltraitées par leur conjoint .On ne peut oublier ce genre de drame .
Bises
Heureusement il y a aussi souvent la grande humanité des personnels (pas toujours c'est vrai) et il faut bien que les étudiants en médecine apprennent.
SupprimerOn ne peut pas oublier. Oui.
Mais on ferme les yeux sur tant d'autres drames ...
Mon commentaire s'est effacé; bizarre .
RépondreSupprimerJe disais que ton texte reflète trop souvent la réalité des hôpitaux .
Beaucoup de gens s'y reconnaissent c'est évident .
Lorsque je lis des drames liés à la maltraitance des femmes par leur conjoint, je pense à ta petite-nièce dont tu nous as parlé .
Bises
mais non, ton commentaire n'a pas disparu ! C'est juste que les commentaires sont modérés
Supprimerbises
Un texte criant de douleur, d'impuissance, de solitude car chacun est seul avec sa peine, de silence, une scène de théâtre celui de la vie qu'on observe parfois de l'extérieur comme s'il fallait fixer les choses dans sa mémoire pour toujours!
RépondreSupprimerDès les premières lignes je me suis souvenue de ce drame qui t'a touché de si près!!!
RépondreSupprimerTu as bien fait de nous le rappeler car il faut éviter que de telles tragédies passent sous silence.
Toutes mes pensées t'accompagnent.
Bisous réconfort Jeanne.
Domi.
Tu as raison de faire ce devoir de mémoire.
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