Jill Bill nous envoyait faire de l'humour (ou pas) sur une mer d'huiles, d'aquarelles, de sépias etc, nous laissant la liberté des escales en poésie, avec ou sans peinture. Certes, Francis Jammes ne fait sans doute pas d'humour en posant ainsi ses mots sur le tableau de Gauguin. Peut-être ne le connaissait-il pas d'ailleurs, mais ils vont bien ensemble, non ?
Vieille marine…
Vieille marine. Enseigne noir galonné d’or
qui allais observer le passage de Vénus
et qui mettais la fille du planteur nue,
dans l’habitation basse, par les nuits chaudes.
C’était d’une langueur, c’était d’une tiédeur
de fleurs blanches qui, près de vasières, meurent.
La bien-aimée était apathique et songeuse,
avec un collier noir à son cou de tubéreuse.
Elle se donnait ardemment, et vos rendez-vous
avaient lieu dans la petite chambre basse
où étaient tes cartes et tes compas
et le daguerréotype de tes petites sœurs.
Tes livres étaient le manuel d’astronomie,
le guide du marin et l’atlas des végétaux,
achetés à la capitale, dans une librairie
dont le timbre était un chapeau de matelot.
Vos baisers se mêlaient aux cris du large fleuve
où traînent les racines des salsepareilles
qui rendent l’eau salutaire à tous ceux
qu’atteint la syphilis dans ces contrées du soleil.
Vous cherchiez, dans l’obscurité des étoiles,
le frisson langoureux d’une mer pacifique,
et tu ne cherchais plus, dans le ciel magnifique,
l’éclipse mystérieuse et noire.
Un souci, cependant, à ton œil lointain,
ô jeune enseigne ! errait comme un insecte en l’air.
Ce n’était point la crainte des dangers marins
ou le souvenir des dents serrées des matelots aux fers.
Que non. Quelque duel de ces vieilles marines
avait, à tout jamais, empoisonné ton cœur.
Tu avais tué l’ami le plus cher à ton cœur :
tu gardais son mouchoir en sang dans ta poitrine.
Et, dans cette nuit chaude, ta douleur
ne pouvait s’apaiser, bien que, douce et lascive,
la fille du colon, évanouie de langueur,
nouât au tien son corps battu d’amour et ivre.
Francis JAMMES, "De l'Angélus de l'aube à l'Angélus du soir", 1898
Francis Jammes, poète et écrivain, 1868 - 1938
Paul Gauguin, artiste-peintre, 1848 - 1903
Paul Gauguin, L'esprit des morts veille, huile sur toile, 1892 |
post scriptum en prolongement ... Ici
Joli poème que je découvre qui va effectivement bien avec ce tableau de Gauguin. J'aime bien le peintre mais pas ce tableau qui m'a toujours dérangée.
RépondreSupprimerComme Martine, je n'aime pas trop ce tableau.
RépondreSupprimerJe découvre le poème. Merci, Jeanne.
Passe une belle journée.
j'ignore si l'esprit des morts est censé protéger ou non la belle endormie, du coup je n'arrive pas à décider si c e tableau fait peur ou s'il est protecteur....Dans le poème, j'aime le "cou de tubéreuse"....par contre moyennement l'histoire racontée et révélée au final....
RépondreSupprimerBonne semaine qui vient, Jeanne