Chaque jour je n'oublie pas Anne-Sophie et ses compagnes d'infortune

145 en 2010 ; 122 en 2011 ; 148 en 2012 ; 121 en 2013 ; 118 en 2014 ; 122 en 2015, 123 en 2016, encore 123 en 2017, 121 en 2018 ? 101 femmes depuis le 1e janvier 2019 en France (2 septembre 2019) , soit une femme tous les deux jours ! accélération ou meilleure visibilité ?

(clic sur le lien pour comprendre ... un peu)

samedi 12 février 2022

Le dernier mot

Prochain thème du Nid des mots à publier le samedi 12 février 2022 : 

"Repentance d'amour"

pour Le nid des mots de abécé

J'avoue ne pas avoir été enthousiasmée par la consigne donnée à l'approche de la saint Valentin. Pas envie de creuser dans cette direction. 
Repentance d'amour, j'ai du mal à cerner les deux vocables séparément, leur réunion me désarçonne. J'ai fureté sur Internet jusqu'à découvrir qu'un poème du XIXe siècle a ce titre : Poème : Repentance d'amour (mon-poeme.fr)

J'allais renoncer mais la suggestion me renvoie au mot "pardon", à propos duquel je n'ai pas avancé d'un iota dans ma réflexion, et aux textes qui l'avaient non pas motivée mais ravivée.
C'est un souvenir vieux de 45 ans.

Mon père, atteint d'un cancer qui s'était généralisé, a passé ses deux derniers mois à l'hôpital. Les derniers jours ont été terribles, mais, juste avant, il a perdu progressivement ses capacités de communication.

Quand la douleur et les difficultés d'élocution se sont faites trop importantes, il a pris un carnet détachable pour bavarder voire discuter encore, par écrit.

Quand il m'a tendu son dernier mot, le papier était couvert de signes tels ceux d'un enfant qui veut écrire avant de savoir le faire. Des tremblements, des lettres avortées, des bâtons et des patates, mais au début ou presque, ce mot bien identifiable, même s'il était d'une écriture maladroite :

"pardon"

Ce billet et ce mot m'ont longtemps hanté. On n'assiste pas sans conséquences à la dégradation d'un des êtres qui comptent le plus au monde. Et surtout, qu'avait-il voulu dire ?

De quoi demandait-il pardon ? Un père, tous les pères, ont tant de choses à se reprocher quand il s'agit d'éduquer des enfants, des fils, des filles.

Je ne suis pas rancunière, la question demeura. J'aurais eu des réponses mais elles me semblaient depuis longtemps surmontées.

Etait-ce de mourir quand j'étais encore jeune ? A 25 ans, je me sentais, je me croyais bien ancrée dans ma vie d'adulte. Je n'en suis plus si convaincue.

Ce mot, qu'il m'avait tendu, s'adressait-il bien à moi ou, la confusion mentale tissant sa toile, ne distinguait-il déjà plus entre mes différentes sœurs, plus âgées, ou ma mère à qui je ressemblais beaucoup quand elle était jeune ? 

Il m'a fallu de longues années pour envisager d'autres hypothèses.
 
S'il s'adressait à moi. En serais-je soulagée ? Lui aurais-je pardonné si j'avais compris ? A l'époque, peut-être pas. Mais j'aurais tenté de retrouver le fil de ma vie interrompue. Il était sans doute trop tard pour changer le cours de ma vie. Et quelle vie aurais-je eu ? Qu'aurait-il fait pour se mêler de ma vie s'il avait vécu plus longtemps ?
 
En ai-je des regrets ? Pourquoi faire ? Le passé ne se réécrit pas, ne se revit pas.

Mon père est né au tout début du XXème siècle et, comme beaucoup d'enfants de ces générations, bien qu'aimant l'école où il y réussissait, il a dû travailler tôt et n'a pas fait d'études. Pourtant, je garde de mes heures passées auprès de lui le souvenir de longues discussions qui allaient très loin dans la réflexion sur le monde, les sociétés, ... sur le sens. Tout en occupant ses mains à l'atelier ou au jardin. Des interrogations beaucoup plus que des réponses, l'ardente obligation du doute (pour paraphraser une autre phrase) qui stimulaient mon propre questionnement auquel il avait le goût de me le faire évoquer à haute voix.

Parmi les gribouillis qui suivaient le mot pardon, aurais-je dû reconnaître un point d'interrogation ?

La vie ne m'avait pas encore trop cabossée, je n'y ai pas pensé. Je crois que pour mettre en chantier une réflexion sur le sens du mot et les usages du pardon, il m'aurait fallu vivre bien plus longtemps ou avoir encore la chance magnifique d'en discuter de vive voix avec mon père, ce qui n'était plus possible.

Je dis bien mettre en chantier, car plus que d'autres sujets, celui-ci est une entreprise intellectuelle de longue haleine, et je n'ai pas la prétention de voir la fin de l'ouvrage.

J'aimerai avoir quelques années encore pour au moins en consolider certaines des fondations de ma réflexion.

Merci pour tout cela, papa, et bien plus encore.
Ton regard et ta sagesse acquise ont manqué à mes enfants. 

7 commentaires:

  1. Ce mot restera donc une énigme, merci Jeanne, bises


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  2. Bonjour Jeanne, il est tellement beau, bon et prenant, ce texte. Il relève parfaitement bien le défi de ce jour.
    Bon week-end tout entier,
    Bises♥

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  3. Je ne sais pas quoi dire tant ton texte m'a émue. Bisous

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  4. Coucou Jeanne.
    Je suis restée sur ce poème de Jules Canonge en le rapprochant de Fugit Amor, cette incroyable sculpture d'Auguste Rodin.
    Mais comme tu as bien fait de revenir sur le dernier mot de ton papa "pardon".
    Un texte émouvant Jeanne, et que d'interrogations pour mener ta réflexion autour de ce dernier mot.
    Merci d'avoir partagé ce douloureux souvenir.
    Bises et bon samedi - Zaza

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  5. Merci à toi d'avoir rediffuser ce texte si chargé d'amour et d'émotion...
    Je n'ai pas de mots pour évoquer tout ce qu'il remue en moi.

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  6. Bonjour Jeanne,
    Encore une participation poignante, décidément, ce défi fut l'occasion de plonger dans des océans d'émotions si vastes qu'il en devient difficile de réagir avec des mots. Juste se laisser happer par la réflexion. Parce que ton texte appelle plein de choses et remue beaucoup de questions en moi.
    Bises et bon dimanche.
    Fabrice

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  7. Comme Annick et Martine, je manque de mots...
    Ton texte m'a émue aux larmes...

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