Chaque jour je n'oublie pas Anne-Sophie et ses compagnes d'infortune de 145 en 2010 à 94 ou 103 ou 134 selon les sources en 2023

(clic sur le lien pour comprendre ... un peu)

mercredi 21 juillet 2021

Mes prénoms de l'été : B comme Bernard

"Le genre humain, qui devrait avoir six mille ans de sagesse, retombe en enfance à chaque nouvelle génération."
Tristan Bernard, 1866 - 1947, romancier et dramaturge français

Oui, Bernard c'est aussi un nom de famille et ce romancier et dramaturge aux œuvres il faut l'avouer assez oubliées reste célèbre par ces petites phrases et sa suite aux stances de Corneille mis en musique par Brassens. (Marquise ...) 
Mais ce n'est pas lui que je souhaite évoquer ici. Le temps de l'Histoire s'accélère singulièrement même si depuis le début de 2020, il nous a aussi réduit à l'immobilité. Ce n'est plus seulement à chaque nouvelle génération que ... L'amnésie collective frappe en quelques années, voire quelques mois, voire quelques jours.

Calligramme de Guillaume Apollinaire écrit sur le front pendant la première guerre mondiale


Dans l'après-midi de cette journée tragique du mercredi 7 janvier 2015, je mettais en ligne sur mon premier et unique blog d'alors le billet Au rire assassiné ! Ce n'était que le début de 3 jours de sidération et de courage.

A la suite du calligramme de Guillaume Apollinaire, je citais Bernard Maris citant Albert Camus :

A deux hommes vivant le même nombre d'années, le monde fournit toujours la même somme d'expériences. C'est à nous d'en être conscients. Sentir sa vie, sa révolte, sa liberté, et le plus possible, c'est vivre et le plus possible. Là où la lucidité règne, l'échelle des valeurs devient inutile. Soyons encore plus simplistes. Disons que le seul obstacle, le seul "manque à gagner", est constitué par la mort prématurée. L'univers suggéré ici ne vit que par opposition à cette constante exception qu'est la mort. C'est ainsi qu'aucune profondeur, aucune émotion, aucune passion et aucun sacrifice ne pourraient rendre égales aux yeux de l'homme absurde (même s'il le souhaitait) une vie consciente de quarante ans et une lucidité étendue sur soixante ans.

Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Gallimard, 1985

 

Cité par Bernard Marris, Antimanuel d'économie, 2 Les cigales, Editions Bréal, 2006, p 33

premier des textes choisis de l'Introduction, L'Espérance de vie

Au soir du dimanche suivant et après de nombreuses manifestations les 10 et 11 janvier dans toute la France dont une gigantesque "marche républicaine" de un million et demi de personnes menée à Paris par le chef de l'Etat français accompagné de nombreux représentants de pays, je mettais un nouveau billet en ligne pour partager ce que Bernard Maris écrivait de "La fin de l'histoire" avec son sens aigu de la dérision autant que de la pensée fouillée et réfléchie :

"La fin de l'histoire"

(avec un h minuscule, note personnelle)

 

Albert Camus, qui ne dédaignait aucun jour de la vie et ne méprisait aucune de ses souffrances, fit remarquer (après tant d'autres) que nous ne vivons pas pour ce jour, mais pour demain : demain quand je serai libre, riche, grand, guéri, de retour, etc. Or demain, c'est la mort. Le mur final contre lequel se brisera notre misérable petit tas de secrets. Un raisonnement backward induction (en note de bas de page "rétroactif" : raisonnement très utilisé en théorie des jeux) dont le point de départ serait le moment fatal, devrait nous conduire à reconnaître l'absurdité du moment présent et nous en libérer, à la manière des Cyniques ("Que risques-tu ? Mourir ? Alors tu ne risques rien") ou, tout au contraire, nous inciter à vivre intensément le moment présent, comme s'il devait se répéter une infinité de fois. C'est l'image opposée du Cynique : le fou de vie, le romantique nietzschéen. L'existence de la mort ne résout absolument rien : toute attitude est justifiable par la conscience de la mort, y compris celle du contemplatif ou du styliste, qui est de ne pas bouger en l'attendant. "A quoi te sert-il d'apprendre cet air de musique avant de mourir ?" Socrate, peu avant de boire la ciguë, répond "A l'apprendre avant de mourir" ...

 

Bernard Maris, Antimanuel d'économie, 2 Les cigales, éditions Bréal 2008,

INTRODUCTION (sous-titre L'espérance de vie), p 26-27

Je prolongeais cette longue citation par mes propres réflexions  et une illustration pour Le mythe de Sisyphe :

"Ce soir de dimanche (11 janvier 2015, précision du 21 juillet 2021), après ce rassemblement de Paris inédit, je me pénètre des mots de ce texte dont le sens m'apparaît, au regard des événements de cette semaine, multiple et de plus en plus. 

Aujourd'hui, je me demande qui a vécu intensément le moment présent et qui s'est projeté dans les jours d'avant ou dans les jours et les mois d'après.

Aujourd'hui, je me demande quelle ont été les dernières pensées de Maris et ses collèges et amis juste avant "le moment fatal" ? S'ils ont seulement eu conscience de ce qui arrivait.

Aujourd'hui, je me demande comment et si l'on peut seulement inscrire de tels actes terroristes dans cette réflexion sur la vie la mort le temps. En ce qui concerne les tueurs.

Aujourd'hui, je veux seulement m'émerveiller de cette formidable force de vie qui a animé tant de monde."

Aujourd'hui 19 juillet 2021 et tout ce qui a été vécu depuis en France et dans le monde entier, ces textes et mes réflexions prennent une toute autre dimension et s'apparentent à une mise en abîme.

Samedi dernier, dans toute la France, des groupes d'à peine un millier de personnes la plupart du temps, souvent moins encore, défilaient en brandissant des slogans nauséabonds se revendiquant d'une liberté qu'ils ont souillé et défiguré. Y a-t-il eu beaucoup de cris d'indignation tels ceux de ce rescapé du Vel'Hiv ?

 Alors même que les contaminations au Covid-19 repartent à la hausse un peu partout dans le monde et que la France est un rare pays ou la vaccination et les tests sont gratuits (du moins pris en charge par l'Etat). 

Alors même qu'en Belgique et surtout en Allemagne, on pleure les morts des dernières inondations soudaines (31 en Belgique, 165 en Allemagne le 19/7/21), qu'on continue à chercher les disparus (plus d'une centaine en Belgique, ? en Allemagne), que des milliers de personnes ont dû tout quitter en catastrophe et se retrouvent sans logement et sans rien. Alors que la solidarité s'organise. Alors qu'un deuil national en Belgique est décidé le 20 juillet.

Alors que le nombre des noyés de la Méditerranée ne cesse de s'alourdir (au moins 1 146 au premier semestre 2021, ONU Info, 1er semestre 2021 14 juillet 2021 ; au moins 20 000 depuis 2014, ONU Info, 6 mars 2020)

Alors que la pandémie de Covid19 a déjà fait au moins 4 millions de morts dans le monde dont plus de 100 000 en France, plus de 90 000 en Allemagne et ~25 000 en Belgique, ce qui, au regard de notre liberté de vivre, vaut bien quelques précautions. (source CovInfo)

Contrairement à Axel, Bernard est un prénom porté par de nombreuses célébrités que je connais et que j'apprécie plus ou moins ou pas du tout.

Plions-nous pour une fois au jeu de ses racines. Le prénom Bernard viendrait de l'allemand et signifie ours (Berin) courageux, responsable (hardt). Sa plus forte popularité concerne les années 1946 à 1952 après avoir connu une croissance régulière depuis le début du vingtième siècle mis à part le déficit des naissances de la première guerre mondiale. (renseignements pris dans le Journal des femmes, prénom Bernard). Il m'apparait comme un pied de nez à l'Histoire (avec un grand H) que ce pic de popularité pour un prénom d'origine allemande arrive juste à la fin de la seconde guerre mondiale.

Celui dont je voulais honorer la mémoire est singulièrement absent des listes de célébrités. Demande de sa famille ? autre raison ?

Bernard Maris est né en 1946 et a été lâchement assassiné le 7 janvier 2015. Je lui rendais hommage ainsi à la suite de l'extrait du Mythe de Sisyphe :

"Je ne sais pas si j'ai réussi à transmettre à certains de mes élèves mon enthousiasme envers tes textes sur l'économie, bien avant la publication de ces antimanuels.

 

Tes interventions sur France Inter me manquaient déjà depuis la rentrée de septembre car le vendredi matin tu y parlais trop tôt et maintenant il n'y a plus de possibilité d'un retour

Tu vas nous manquer Oncle Bernard !

 

Toi qui achevait le premier tome de ton antimanuel ainsi :

 

La gratuité et la solidarité laissent augurer ce que pourra être la société de demain, lorsque le problème économique aura disparu. Il se peut que l'idéologie économique règne jusqu'à la fin des temps : Orwell, Huxley ont raconté la fin de l'histoire et l'éternité de l'horreur économique bien avant Fukuyama.

Mais faisons un rêve : lorsque l'économie et les économistes auront disparu, ou du moins auront rejoint l'"arrière-plan", auront aussi disparu le travail sans fin, la servitude volontaire et l'exploitation des humains. Règneront alors l'art, le temps choisi, la liberté. Qui rêvait ainsi ? Keynes, le plus grand des économistes.

Bernard Marris, Antimanuel d'économie, 1 Les fourmis, Editions Bréal, 2003, p 150

 

A tes frères de rire de Charlie Hebdo, dont Cabu, Charb, Wolinski, Tignous, au cinq autres dont on ne connait pas les noms, aux deux policiers qui ont payé de leur vie la mission de vous protéger.

 

En des temps plus légers, nous aurions pu voir en ce premier jour des soldes quelque chose comme cela :

"

Keynes et les amateurs de luxe ou de soldes n'ont pas anticipé le dérèglement climatique (mais pas que) que les humains infligent à la planète qui les héberge.

4 commentaires:

  1. Charlie Hebdo, comment oubier Jeanne, même avec le temps, cet assassinat multiple pour une caracitarue... Des morts "catastrophes" il y en aura encore, la nature, les hommes entre eux... merci, jill

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  2. Un grand merci Jeanne pour toutes ces réflexions développées autour de ce prénom... Que notre monde manque de courage pour tenter de faire changer les choses, si c'est encore possible !
    Bises et bon mercredi

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  3. Il est difficile de commenter cette page tant les réflexions qu'elle appellent sont importantes pour nous tous.
    Dire "Tu as raison", en premier.
    Dire aussi que j'ai l'impression que l'on met de plus en plus de côté tout ce qui peut "déranger". L'histoire se répète, et l'on apprend de moins de moins de ce qui arrive.
    Les pages se tournent trop vite, avant que l'on ait pu en mesurer les conséquences.
    Les antivax relient l'obligation de se faire vacciner à une privation de liberté, mais demande-t-on aux enfants s'ils veulent les vaccins qu'on leur impose dès la naissance ? Nous les vaccinons pour les protéger, donc acceptons de nous vacciner pour le bien du plus grand nombre. Cela limitera les dégâts, même si nous ne pouvons rien contre les fléaux que sont les incendies et les inondations, là où nous pouvons agir, agissons !
    Je crois que nous pouvons rêver à un monde différent, où les inégalités seraient moins grandes, même si je pense qu'elles existeront toujours. Mais je crois aussi qu'il ne suffit pas de le rêver, il faut agir, à notre mesure, pour qu'il soit plus proche de celui dont nous rêvons.
    La liberté, la liberté de chacun, s'arrête toujours là où commence celle d'autrui. Ne pas mettre en péril nos voisins est un devoir qu'il faut remplir.
    Passe une douce journée, Jeanne.
    Merci pour les rappels et pour ces citations qui font réfléchir.

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  4. Tu as raison, les gens ont la mémoire courte; Tes mots interpellent .

    Faire certains amalgames avec tout ce qui se passe, c'est dérangeant.
    Tu rends un bel hommage à ce Bernard déjà oublié.
    Des gens tués parce qu'ils faisaient leur métier , et ce n'est sûrement pas fini.
    Bise

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