J'aurais bien repris une nième fois Automne de René Guy Cadou ou encore Le cancre, de Jacques Prévert et je sais aussi que le poème de Victor Hugo n'est pas des plus joyeux.
Et puis, au-delà de sa pensée généreuse, il ne suffit pas d'éduquer, surtout quand l'éducation est associée à un conditionnement de la pensée qui la formate et la prive de libre arbitre.
Ecrit après la visite d'un bagne
Chaque enfant qu'on enseigne est un homme qu'on gagne.
Quatrevingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne
Ne sont jamais allés à l'école une fois,
Et ne savent pas lire, et signent d'une croix.
C'est dans cette ombre-là qu'ils ont trouvé le crime.
L'ignorance est la nuit qui commence l'abîme.
Où rampe la raison, l'honnêteté périt.
Dieu, le premier auteur de tout ce qu'on écrit,
A mis, sur cette terre où les hommes sont ivres,
Les ailes des esprits dans les pages des livres.
Tout homme ouvrant un livre y trouve une aile, et peut
Planer là-haut où l'âme en liberté se meut.
L'école est sanctuaire autant que la chapelle.
L'alphabet que l'enfant avec son doigt épelle
Contient sous chaque lettre une vertu ; le coeur
S'éclaire doucement à cette humble lueur.
Donc au petit enfant donnez le petit livre.
Marchez, la lampe en main, pour qu'il puisse vous suivre.
La nuit produit l'erreur et l'erreur l'attentat.
Faute d'enseignement, on jette dans l'état
Des hommes animaux, têtes inachevées,
Tristes instincts qui vont les prunelles crevées,
Aveugles effrayants, au regard sépulcral,
Qui marchent à tâtons dans le monde moral.
Allumons les esprits, c'est notre loi première,
Et du suif le plus vil faisons une lumière.
L'intelligence veut être ouverte ici-bas ;
Le germe a droit d'éclore ; et qui ne pense pas
Ne vit pas. Ces voleurs avaient le droit de vivre.
Songeons-y bien, l'école en or change le cuivre,
Tandis que l'ignorance en plomb transforme l'or.
Je dis que ces voleurs possédaient un trésor,
Leur pensée immortelle, auguste et nécessaire ;
Je dis qu'ils ont le droit, du fond de leur misère,
De se tourner vers vous, à qui le jour sourit,
Et de vous demander compte de leur esprit ;
Je dis qu'ils étaient l'homme et qu'on en fit la brute ;
Je dis que je nous blâme et que je plains leur chute ;
Je dis que ce sont eux qui sont les dépouillés ;
Je dis que les forfaits dont ils se sont souillés
Ont pour point de départ ce qui n'est pas leur faute ;
Pouvaient-ils s'éclairer du flambeau qu'on leur ôte ?
Ils sont les malheureux et non les ennemis.
Le premier crime fut sur eux-mêmes commis ;
On a de la pensée éteint en eux la flamme :
Et la société leur a volé leur âme.
Victor Hugo, Recueil : Les quatre vents de l'esprit (1881).
Victor HUGO, 1802 - 1885, poète écrivain dramaturge et dessinateur français
Banksy, l'un des plus grands artistes d'art urbain
Graf de Banksy, sur les murs de son ancienne école, Infos ---> |
Je ne connaissais pas ce poème si vrai. Merci de ce partage. Belle journée.
RépondreSupprimerUn très beau texte de Victor Hugo, Jeanne. Merci.
RépondreSupprimerBises et bon jeudi
Oui, quel poème extraordinaire qu'il est bon de relire.
RépondreSupprimerPuis-je ajouter les paroles de cette chanson d'Yves Duteil, "Apprendre" ?
Yves Duteil, Apprendre
Paroles et musique, Yves Duteil
Extrait de l'album Sans Attendre (Editions de l'Ecritoire, 2001)
Sous le soleil la terre se fend
Pour cet homme et pour son enfant,
Après le puits qu'il faut creuser
Il reste un sillon à tracer...
Sans attendre...
Apprendre ...
À lire, à écrire, à compter
Ouvrir les portes encore fermées
Sur ce savoir accumulé
Qu'on lui en donne un jour la clé
Il a le monde à sa portée...
Lire...
Apprendre à lire entre les lignes
Découvrir la magie des signes
Et les trésors inépuisables
Qu'on emporte dans son cartable
Comprendre...
C'est comme un mur que l'on traverse
C'est la brume qui se disperse
Une promesse encore plus belle
La connaissance universelle
Compter...
Apprendre à compter sur soi-même
À compter pour ceux qui vous aiment
Pour faire aussi partie du nombre
Pouvoir enfin sortir de l'ombre
Comprendre...
Combien la vie peut être belle
Et se mettre à compter pour elle
Faire la somme de sa différence
Et se soustraire à l'ignorance
Écrire...
Apprendre à écrire son histoire
À la plume et au crayon noir
En appliquant son écriture
Raconter sa propre aventure...
Surprendre...
Cueillir ses mots comme des fleurs
Semer des graines au long des cœurs
Confier son âme et sa mémoire
A celui qui viendra plus tard
Pour cet enfant à son pupitre
Tirer la langue sur le titre
Écrire son nom sur son cahier
C'est plonger vers sa liberté.
Quel magnifique plaidoyer pour l'école ,
RépondreSupprimer"Le premier crime fut sur eux-mêmes commis ;
On a de la pensée éteint en eux la flamme :
Et la société leur a volé leur âme." Si seulement tous les gouvernements pouvaient avoir ces lignes en tête ...
Bonne journée
Bisous
Je croyais avoir presque tout lu de Hugo... et je découvre ce poème.
RépondreSupprimerMerci, Jeanne.
Un poème dont les réflexions pourraient toutes se conjuguer encore dans notre présent.
Passe une douce journée.
Un magnifique texte, Jeanne et une merveileuse illustration ! Bon vendredi ! Bises♥
RépondreSupprimerMerci pour ce superbe poème, toute l'excellence et la force d'écriture du "Père Hugo" ...
RépondreSupprimerEntre choses, il me ramène à la vie de mon arrière grand- père, notaire dévoyé, qui est mort au bagne de Cayenne, en 1905 ...
Il y avait aussi un bagne, "chez moi" (à Brest), jusque 1978. Mon père me racontait les bêtises qu'il aimait y faire, particulièrement dans la cellule d'un certain Vidocq.